Rédigé par Matthieu Sainlez  –  Membre AG Vivalia – Commune d’Arlon

Que n’a-t-on pas entendu ou lu depuis le dépôt de la demande de permis unique par Vivalia, concernant le projet de centre hospitalier Centre-Sud à Houdemont ?

Tout allait « rouler », facilement, rapidement, tant la demande de permis unique introduite par l’intercommunale était réputée « bétonnée » ?

En parallèle des réunions publiques, il y avait cette trame de communication lénifiante, nous (r)assurant des « polycliniques pour 80% des besoins en termes de soins », des « proxy-urgences » – dont on ne sait toujours pas dire ce que c’est ; le tout en contradiction avec le contenu même de la demande de permis unique qui bottait en touche sur la question du devenir des sites actuels.

C’était encore, il est navrant de le constater, un flou bien caractéristique à la gestion de ce projet par l’intercommunale.

Pourtant, une analyse plus attentive de la demande de permis permettait de constater des manquements importants de l’étude des incidences environnementales : sur la mobilité du « tout à la voiture » – clairement assumée par Vivalia, sur la privation abusive de terres agricoles – sans compensation au plan de secteur, sur l’absence d’étude d’impacts socio-économiques du projet sur Arlon-Libramont-Bastogne, ou encore sur la présence future de chancres dans les villes concernées par la désaffection de services hospitaliers.

La demande déposée, les avis et réclamations récoltés, il restait à attendre la décision du fonctionnaire délégué de la Région Wallonne.

Il est en effet ici compétent pour accepter/refuser ce type de demande de permis « publics » (en ce compris la création d’un hôpital), dans le cadre d’une procédure particulière qui permettrait au demandeur (Vivalia) de déroger au plan de secteur dans une grande mesure (source : Union des villes et communes de Wallonie).

A ce stade, la décision du fonctionnaire délégué est tombée et a le mérite de la clarté : c’est un refus.

Son rapport de synthèse de 221 pages reprend les observations, réclamations et avis des nombreuses instances consultées, dont la commune d’Habay (favorable) et les communes limitrophes au projet : Arlon, Attert et Martelange qui sont défavorables, Tintigny qui est favorable, tandis que Chiny, Etalle et Léglise ne semblent pas s’être prononcées.

Rappelons d’abord l’ampleur du projet avec, entre autres chiffres :

  • Un projet qui porte sur 57.7 hectares : 40.7 hectares pour le site hospitalier au sens large dont des bâtiments sur 2.9 ha, des infrastructures voiries-héliport-parking sur 6.3 ha, des zones d’aménagements paysagers sur 24.4 ha, une zone d’extension complémentaire sur 7.1 ha, une station d’épuration ; ainsi qu’un échangeur autoroutier sur 13 ha.
  • Une mobilité de et vers le site pour 2500 patients et visiteurs par jour.
  • Un parking à plat de 1448 places sur 4.5 ha.
  • Un besoin identifié de 300 m3 d’eau par jour, soit 110 000 m3 par an.

L’argumentaire du fonctionnaire délégué est pour le moins limpide sur les faiblesses ou manques de base du projet, principalement dans ses aspects d’aménagement du territoire et de mobilité !

Les motivations de son refus sont multiples, mais on peut en épingler quelques-unes plus importantes :

  • « Des études supplémentaires auraient été utiles afin de démontrer que le projet est soutenable et participe à la gestion rationnelle de l’eau »
  • « Le projet s’inscrit à l’encontre d’une urbanisation raisonnée, efficiente et cohérente du sol, privilégiant les synergies ; ce projet contribue à la déstructuration du territoire »
  • « Perte définitive de 50 ha dédiés à l’agriculture et situés dans une vaste plage agricole inscrite au plan de secteur »
  • « La localisation n’a pas pris en compte directement le plan de secteur»
  • « Le mécanisme de dérogation au plan de secteur est sollicité alors que son ampleur ne le permet manifestement pas »
  • « L’étude des incidences environnementales reflète une vision peu claire des besoins actuels et futurs de l’hôpital en termes de surface artificialisée »
  • « … cette lacune motive le demandeur à retenir un site permettant une artificialisation importante »
  • « L’étude des incidences environnementales manque d’une vision claire des besoins de l’infrastructure hospitalière, ainsi que l’absence de toute rationalisation de l’espace dédié au stationnement »
  • « La vocation première de la terre agricole est d’être nourricière, elle n’est pas la ‘réserve foncière’ dédicacée aux projets d’intérêt général »
  • « Le terrain est non équipé et mal desservi»
  • « Les infrastructures nouvelles (à charge de la collectivité) ne seraient pas nécessaires si le terrain choisi n’était pas aussi excentré »
  • « Les travaux de l’échangeur 29 d’Habay ne sont pas pris en compte »
  • « Le site est non desservi en transports communs et voies lentes, le projet se fait sans aucun accord certain entre les TEC et les demandeurs »

Une phrase attire particulièrement l’attention : « il est à craindre que ce soit la facilité qui ait conduit le demandeur (ici Vivalia) à recourir au mécanisme de la dérogation plutôt qu’à celui de la révision du plan de secteur ».

Ou encore : « une localisation près d’un centre desservi par les transports en commun permettant un déplacement raisonnable en mode doux, permettrait de répondre pleinement aux différents objectifs de la Wallonie en matière de mobilité ».

Des manques de vision et une certaine « facilité » dans le chef de l’intercommunale : ce sont des mots lourds de sens ! Ils doivent nécessairement faire réfléchir, jusqu’au sein même du conseil d’administration de Vivalia.

L’intercommunale ira certainement en recours de la décision, c’est bien attendu.

Néanmoins, la motivation du refus n’est pas ici purement « cosmétique », c’est davantage une remise en cause profonde de la base même du projet, de son implantation, de sa confiscation de terres agricoles et de son manque de solutions en matière de mobilité publique.

La « déstructuration du territoire », telle que mentionnée, reflète les conséquences délétères du projet sur l’ensemble des liens territoriaux de soins, de services et de mobilité ; ces liens qui ont mis des décennies à se construire autour des sites actuels !

Comment imaginer que le Gouvernement Wallon irait à l’encontre d’une décision étayée de la sorte par son fonctionnaire délégué, comment pourrait-il approuver un projet qui est autant à rebours de sa propre déclaration de politique régionale 2019-2024 ?

Des premiers retours dans la presse attaquent le fonctionnaire délégué en le qualifiant de « doctrinaire » ou dont la décision serait « pathétique » : quand le message ne plait pas, il est plus facile de s’en prendre au messager.

Mais qu’on ne s’y trompe pas, ce ne sont pas des mesures d’atténuation ou un redimensionnement sur site qui changeront la donne pour un projet qui s’écarte à ce point des prescrits de l’aménagement du territoire.

Le refus de permis unique n’est certainement pas un simple « accroc » de passage.